*Selon l’heureuse expression du magnifique livre de Donna Haraway dont certains concepts seront empruntés lors de nos explorations.
Le stage décrit en quelques mots :
Ceux de Loïc :
« Vivre avec le trouble, c’est entrer dans un monde étrange – le nôtre – où le temps, sorti de ses gonds, se retrouve balloté dans un tourbillon de rencontres multispécifiques, d’appropriations violentes, de créations collectives sur fond de désastres climatiques. » D. Haraway
À l’origine, le vent, « les tourbillons de rencontres », mais aussi en ce qui nous concerne, notre propre attitude pour y faire face, ou plutôt, pour faire-avec.
Au sein des pratiques du mouvement, beaucoup d’école créent des conditions d’apprentissage « au sec » où tout est maîtrisé, chorégraphié, rythmé, déterminé.
Originellement, le Contact Improvisation comme le Systema se posent la question de la turbulence.
Du latin turbula, petite foule, la turbulence est reliée au trouble avec qui elle partage la même étymologie. Elle est à la fois le vent, à la fois l’émotion face au vent. Elle est ce vent qui nous dépasse et nous divise. Ce vent qui fait de nous une « petite foule ».
Nous voudrions éviter deux écueils. Le premier celui du contrôle : s’imaginer en dompteur imposer fermement une direction prédéterminée à une force pourtant incontrôlable. Le second celui de la noyade : oublier son cap et se mettre à suivre au premier changement toute nouvelle direction.
Il est une attitude, un rapport au monde qui permet d’éviter d’avoir à choisir entre le contrôle et la noyade ; c’est celle du bon marin décrit par B. Morizot : « être mi-navire mi-bourrasque prêt à changer de vent, à jouer un vent contre un autre, pour rejoindre un cap ». Naviguer par gros temps est un savoir-faire exigeant. Il nécessite de se confronter à la tourmente afin d’acquérir et forger une attitude à la fois souple et déterminé, intuitive et axée – que la plupart des pratiques devenues par trop « démocratiques » ou « socialisées » évite.
Dans le chaos du mouvement et des émotions, qu’est-ce que garder un cap ? Comment jouer avec les vents ? Quelle puissance peut émerger de l’alliance entre mon désir et celui des turbulences ? Nous voudrions devenir un conatus- fauve selon l’expression de B. Morizot désignant l’alliance entre la puissance propre de tout être s’accommodant des abords sauvages de son environnement. Ou faire œuvre sympoïétique, art joliment nommé par D. Haraway de faire-avec mettant en avant tissages, enchevêtrements et autres tentacularités loin, bien loin des confinements identitaires…
Ceux de Mathieu :
Une des première intuition de Steve Paxton, l’initiateur du CI, était d’explorer le mouvement dans sa dimension sphérique renversant ainsi les hiérarchies. Le haut versus le bas, la face versus le dos, le porteur versus le porté, la décision versus l’écoute et l’adaptation, le force musculaire versus la force centrifuge, le visuel versus le toucher (l’optique versus l’haptique), le lointain versus le proche.
En plaçant la chute au centre de cette recherche toutes ces priorités sont remises en question et au feu du jeu. Nous passons d’un monde de forme à un monde de flux, à une disposition du regard qui serait pré-catégoriel.
« C’est bien cela qui est en jeu dans la Danse Contact, essayer d’être en face de l’autre en tant que poids, que contour, que couleur, en tant que geste et d’être dans l’urgence de ces choses premières. Dans la pratique de la Danse Contact surgit une espèce de vigilance incroyable, de clarté géographique. Quelqu’un peut sauter derrière soi, nous pouvons être bousculé par quelqu’un d’autre, et cela devient extrêmement dangereux si l’on est dans la lenteur du regard objectivant. Et le fait d’échapper à ce regard objectif – tout un travail est produit dans ce sens – induit la fulgurance de l’espace. » H.Godard
Nous familiariser à cette zone ambiguë ( pour reprendre l’expression de S. Paxton ) et au trouble qui le caractérise pourrait être une piste pour « faire sens » sensing ensemble et rester orienté.e.s dans l’émerveillement du dé-faire ensemble.